TRIBUNE - Publiée dans LE MONDE - 23 octobre 2024
Nous, acteurs et actrices de la société civile des territoires dits d’Outre-mer et d’Hexagone; organisations de solidarité entre les peuples et autres, exprimons notre soutien aux habitants et habitantes de Mayotte et nos condoléances les plus sincères pour les pertes humaines subies suite au passage de ce terrible cyclone Chido. Nous partageons votre tristesse mais aussi votre colère quant à la gestion indigne de cette crise par l'État français. Nous sommes mobilisés à vos côtés de toutes les manières possibles (collectes, volontariat, information, marches…) et le resterons au-delà de cette épreuve.
À vous, décideurs publics, nous voulons vous dire notre indignation. Depuis plusieurs décennies, Mayotte subit les ravages de votre inaction exacerbés par cette catastrophe aux conséquences dévastatrices : des pertes humaines importantes, des milliers de familles sans abri, et une population qui lutte pour accéder à des ressources de base comme l’eau potable, la nourriture et les soins de santé. Dans ce contexte, il est essentiel d’adopter une approche humanitaire, solidaire et coordonnée pour répondre aux besoins urgents de la population. La priorité est la recherche active des survivants et le secours des plus vulnérables. Chaque minute compte. Les efforts des autorités locales, nationales et internationales doivent être alignés selon les standards humanitaires pour maximiser leur impact et éviter des défaillances pouvant aggraver la situation.
Rappelons que Mayotte est le territoire français le plus pauvre, le plus inégalitaire et le plus touché par le chômage. Nous le savons, cette île, de par sa localisation géographique entre Afrique, Asie et Moyen-Orient, n’est qu’un territoire stratégique pour la France, un passage essentiel au commerce international. Une position-clé qui visiblement vaut bien quelques milliers de vies humaines. Les politiques menées depuis la départementalisation ne sont pas à la hauteur. Alors que des milliers de jeunes sont déscolarisés, vous appelez à la suppression du droit du sol. Alors que 77% de la population vit sous le seuil de pauvreté, vous menez des opérations punitives décimant des habitations déjà frappées d’indignité. Aveuglé par votre haine de l’autre et niant vos obligations de garant des droits humains, vous persistez à lier insécurité et immigration à contresens des travaux de chercheurs démontrant l’absence d’un tel lien : ils n’observent aucune surreprésentation de nouveaux arrivants (“migrants”) dans les groupes de jeunes en situation de délinquance. En 2022, 73 % des Mahorais ne disposaient pas de diplôme qualifiant, contre 28 % de la population en hexagone. La jeunesse, vous l’avez tout bonnement abandonnée, la privant d’un avenir professionnel, d’un avenir tout court. Vous êtes coupables.
Permettre aux générations futures de vivre dignement et dans un environnement sain devrait être la priorité de tous les dirigeants d’autant que la France s’est engagée en ce sens à travers divers dispositifs (Déclaration universelle des droits de l’homme, ODD, Accord de Paris, Pacte pour l’avenir…). Les associations de solidarité et les élus alertent depuis des années sur les conditions de vie de plus en plus précaires des “ultramarins”. A Mayotte, le niveau de vie médian est de 260 euros par mois, contre 1700 euros par mois en Hexagone. Les quelques droits sociaux acquis (allocations familiales, assurance maladie, assurance vieillesse, assurance chômage, allocation adulte handicapé) sont établis selon des critères d’éligibilité plus restrictifs et les montants sont inférieurs à ceux en vigueur en hexagone et dans les autres DROM. 59 % des habitations ne disposent pas du confort sanitaire de base (56 % n'ont pas de baignoire ou de douche et 54 % ne disposent pas de toilettes à l'intérieur du logement). Mais à quoi bon avoir une douche lorsque l’eau manque ! Et pourquoi ne pas enterrer les habitants davantage en leur imposant des packs d'eau coûtant jusqu'à 7,50 euros en pleine crise d'approvisionnement…L'île connaît en effet d'importantes difficultés de gestion des eaux qu’on ne sait toujours pas régler et auxquelles s’ajoutent d’importants épisodes de sécheresse… Le GIEC, groupement d'expert.es du climat, avaient quant à lui déjà affirmé que les territoires dits d’outre-mer seraient en première ligne des effets du dérèglement climatique. Mais comme dirait Emmanuel Macron “qui aurait pu prédire” ?
Il est temps que l’on reconnaisse aux “peuples ultramarins” leurs droits fondamentaux dont la France se targue d’être le garant.
Nous appelons au respect de la loi dite “d’égalité réelle” n°2017-256 du 28.02.17, créée pour “réduire les inégalités d’ordre économique, social et environnemental entre l’hexagone et des territoires ultramarins”.
Nous dénonçons avec force l’exclusion des territoires dit d’Outre-mer, depuis 50 ans, de la Charte sociale européenne du Conseil de l’Europe qui garantit des droits fondamentaux - économiques et sociaux - comme l’accès à l’eau, au logement, au travail, à l’emploi, à la protection sociale, à la santé ou encore la protection contre la pauvreté. Alors que les crises se multiplient dans plusieurs territoires, l'Etat français, interpellé par l’ONU en octobre 2023 à ce sujet, a confirmé cette exclusion en mai 2024 sans exprimer aucune intention d’y remédier. La Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH) affirme pourtant qu’il s’agit là d’une violation de la Constitution française, du droit international des droits de l’Homme, d’une discrimination et même d’une “clause coloniale”.
Le Défenseur des droits a quant à lui fait un rapport en 2012 sur Mayotte, pointant les dérogations dans le droit des étrangers, dans le droit de l'accueil, mais aussi à tous les niveaux éducatifs, santé, développement économique…Ce territoire et son lien historique avec le reste de l’archipel appellent à une gestion concertée et respectueuse des droits fondamentaux de tous ses habitants. Alors, plutôt que d’appeler à une reconstruction de l’île basée sur la question migratoire, comme l’a fait le Ministre de l’intérieur le 17 décembre dernier sur X, ou d’annoncer un “durcissement des moyens mis en oeuvre pour lutter contre l'immigration clandestine” comme l’a fait le Président de la République le 19 décembre depuis Mayotte, le gouvernement devrait entamer une réelle opération de recensement permettant de savoir combien d’êtres humains peuplent réellement Mayotte afin de concevoir des politiques adaptées, financées en transparence et d’en mesurer les impacts. Prioritairement, il devrait s’atteler à construire des logements en nombre suffisant, durables et adaptés aux risques climatiques. Construire et reconstruire des écoles, des universités et des établissements de santé. Aligner les politiques de protection sociale sur celles de l’hexagone et veiller à ce que les habitants aient toutes et tous accès à l’eau, à de la nourriture et aux soins.
Mayotte, meurtrie par ce cyclone, a subi de nombreuses pertes. L’après Chido sera long et douloureux. Votre négligence vous oblige.
Signataires
André Bazin, président de Ultramarins Doubout
Angélique Huguin, militant.e antinucléaire décolonial.e
Anne Messan formatrice, conférencière, collectif Les Voix Éclairées
Adel Tincelin, militant.e antinucléaire décolonial.e
Association Nos vies, nos avis
Awa CAMARA, Co fondatrice L’Abeille et le Papillon - Crèche citoyenne et inclusive, Présidente Association Second Souffle - Soutien aux proches aidants, conférencière, collectif Les voix éclairées
Awad Daniel, journaliste et co-fondateur de L’arène
Brice Montagne, militant LFI Moselle
Camille Wilhelm, éducatrice spécialisée POPAM’MAYOTTE
Célien Derret, militant.e antinucléaire décolonial.e
Collectif Vietnam Dioxine
Collectif FOV, éducation populaire féministe
Corinne Grassi, chargée de projets culturels et économie solidaire
Daniela Felletti, Consultante Internationale en Diversité, Équité et Inclusion
Dror Warschawski, commission internationale de l’Union syndicale Solidaires
Emmanuel Poilane, Secrétaire Général, France Libertés - Fondation Danielle Mitterrand
Emmanuelle Araujo Calçada, docteure en écologie, psychopraticienne, militante
EmmanuellX Sanchez, militant.e antinucléaire décolonial.e
Eva Sadoun, Entrepreneure économiste
Félicie Duault et Sixtine Guellec, co-présidentes de CliMates
Féministes contre le cyberharcèlement
Florent Massot, éditeur
Ines Seddiki, activiste et fondatrice de Ghettup
Jason Man, Président de Te Motu, militant polynésien
Jean Bosc, Aumônier du Culte Musulman, Centre Hospitalier de Millau, membre du Bureau de l'association gestionnaire de la Mosquée "La Guidance" de Millau en Aveyron
Jennifer-Léonie Bellay, militante décoloniale, ATTAC Espace International
Jérémie Suissa, Délégué général de Notre Affaire À Tous
Johanna-Soraya Benamrouche, militante féministe postcoloniale
Julia Thibord, juriste
Kevin Vacher, sociologue, militant marseillais pour le logement digne
Lauraline Michel, formatrice, militante féministe
Léo Ruesche Neggia, activiste Droits Humains et justice climatique
Lexo Calais, militant.e antinucléaire décolonial.e
Lufian Ndongala, Président de Lolidays
Magali Payen, Directrice de ON EST PRET
Malcom Ferdinand chercheur CNRS
Marie Caruana, citoyenne
Marie-Laure Guislain, juriste, autrice, responsable des projets d’Allumeuses
Marie-Pierre Barrière, enseignante et militante associative
Marie Toussaint, Eurodéputée écologiste
Mathilde Briend, membre du collectif Magma
Mathilde Imer, menuisière militante
Michel Rhin, président du Réseau d'Education Sans Frontière Ile de Mayotte (2006-2014), candidat législatives 2022 pour la NUPES.
Neven,Les Rayonnant⋅es
Nelly Depriester - Indigné
Olivier Depriester - Indigné
DePaula Martínez Takegami. Présidente association Citoyennetés pour la Paix de Colombie-France
Priscillia Ludosky, Présidente du CLSE
Peter Lema, Activiste-Metteur en scène et coordinateur du Cercle du marronnage/MIR-CRCH
Racha Mousdikoudine, Présidente Mayotte A Soif
Rébecca Rogly, Co-présidente de l'Observatoire Terre-Monde
Rehema Saindou, présidente du Collectif CIDE Outre-Mer
Remy Dario , militant.e antinucléaire décolonial.e
Rokia KEBE entrepreneure sociale militante associative au sein du “collectif des Mamadou”
Rosita Destival, 2ème vice-présidente Mouvement International pour les Réparations-section France
Sabrina Cajoly, Fondatrice de Kimbé Rèd - French West indies (F.W.I.)
Samir CHIKHI, militant associatif
Sarah Durieux, militante féministe
Sarah Joséphau, activiste
Samuel Grzybowski, activiste
Shakiba Dawod, présidente du Cercle Persan
Solène de Montmarin, militante écologiste et droits humains
Stéphanie Gonthier, fondatrice association
Taoufik Vallipuram, entrepreneur social et militant associatif
Thaïs Salmon-Goulet, artiste
Théo Lubin, Président du Comité d’Organisation du 10 Mai/C-O10MAI